D’une saison à l’autre, les spectacles d’Anne Teresa de Keersmaeker se suivent et ne se ressemblent pas. Chaque création est une nouvelle étape – un nouveau feuilleton – dans sa passionnante exploration des interactions entre musique et danse. Bach, Joan Baez, Bartók, Beethoven, Coltrane, Debussy, Miles Davis, Mahler, Mozart, Steve Reich, Schoenberg, Stravinski, Webern : c’est avec chacun d’entre eux que sa danse a grandi.

Après la parenthèse introspective qu’a constituée son spectacle 3Abschied [3Adieux] autour de la musique de Mahler, Anne Teresa De Keersmaeker remonte dans le temps jusqu’au XIV^e siècle pour redonner vie à l’ Ars Subtilior. Les termes renvoient au caractère d’extrême complexité, voire de maniérisme extravagant, qui caractérise cette forme musicale polyphonique apparue à un moment critique de l’Histoire. Les structures politiques et religieuses de la société médiévale sont alors mises à mal. La peste noire a fait de terribles ravages. C’est dans ce contexte sombre que se développe le raffinement quasi-ésotérique de l’ Ars Subtilior.

Représentante intransigeante d’un art à la fois cérébral et intensément incarné, Anne Teresa De Keersmaeker fait dialoguer avec le présent de sa danse cette lointaine tradition musicale. Elle en épouse les fondements formels, analyse son architecture, éclaircit sa polyphonie. Orfèvre du geste, elle sait tirer d’un mouvement trompeusement familier des combinaisons vertigineuses, comme autant de réflexions métaphysiques sur ce qui relie l’individu au monde qui l’entoure.